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vendredi 8 octobre 2010

8 octobre 1768 : U Borgu.


Petite parenthèse par rapport au sujet jusqu'à présent abordé (les civilisations qui ont fait date dans l'histoire militaire) pour parler d'une bataille. Pas forcément très connue. En effet, aujourd'hui est un jour un peu particulier : le 8 octobre 1768, l'armée révolutionnaire corse se paya le triple luxe d'infliger une cuisante défaite à la meilleure armée d'Europe de l'époque, de faire ce qu'avait fait César à Alésia (les pièges en moins), et de détruire le carré français avec de la cavalerie, chose jusque là impossible, le carré d'infanterie étant justement pensé pour contrer ce type de charge. 

Mais avant d'en venir à la bataille, quelques mots sur le contexte : au début du XVIIIème siècle, la Corse appartient à Gênes. A la suite de plusieurs rébellions, les Corses finissent par se débarrasser des Génois et se dotent d'une constitution (1755), bien avant les colons américains et les révolutionnaires français. (A propos de l'influence corse sur les insurgents, il faut savoir que ceux-ci se ruèrent sur les troupes britanniques au cri de "Remember Paoli !") Cependant, Gênes décide de vendre la Corse à la France (traité de Versailles, 15 mai 1768). Paoli, u babbu di a patria (le père de la patrie) outré dira : "cumpravanu a nostra isula è u nostru populu, cum'ellu si compra una banda di pecure vindute à u mercatu..."("ils achetaient[par ce traité] notre ile et notre peuple comme on achète un troupeau de chèvres au marché...") à noter qu'il l'a dit en italien, mais après tout la version corse est aussi suggestive. A l'issue de cet achat, les Français se lancent donc dans la conquête de l'île. 

Le corps expéditionnaire est numériquement peu important, car les Français s'attendent à ce que les Corses fuient aux premiers coups de feu... De plus, l'armée française est vite contrainte de se morceler pour protéger les diverses places qu'elle occupe. 

Or, Paoli, qui en a vent, décide d'attaquer avec toute son armée (certainement moins de 9 000 hommes car à l'époque, il y avait tout au plus une dizaine de milliers d'hommes prêts à prendre les armes aux côtés de Paoli, et celui-ci, au moment de la bataille garde en réserve 4 000 hommes).           
Le résultat ne se fait pas attendre : les petites garnisons françaises, submergées, déposent les armes les unes après les autres. Le 5 octobre, l'armée corse (environ 4 000 hommes) arrive devant U Borgu, un village défendu par  un peu moins de 1 000 soldats d'élite (de l'infanterie et des canons). De plus, le commandant de la place, De Ludre attend des renforts (3 000 hommes). Après avoir rejeté un armistice, l'armée "paoliste" encercle la place. En transformant le village en camp retranché, le commandant français a cependant fait une erreur de taille : il n'a ni fortifié le point d'eau, ni les maisons à la limite du village. Dans la nuit du 6 au 7, les paolistes s'emparent desdites maisons et bloque la garnison française au centre. Le 8, 10 compagnies de grenadiers, commandés par d'Arcambal, tentent d'enfoncer les lignes corses, c'est à ce moment que ceux-ci se retrouvent dans la position de César à Alésia : devant eux, les fortifications de de Ludre, derrière, celles qui les séparent de d'Arcambal. C'est au cours de cette journée de durs combats que les carrés français sont brisés par une violente charge de la cavalerie corse. Finalement, le 9, après une journée de combats acharnés, contre de nouveaux renforts (3 000 hommes) amenés par Chauvelin,au cours de laquelle Paoli lance une charge héroique en disant : '' " Patriotes ! Rappelez-vous les Vêpres corses, lorsqu'en ce même lieu vous détruisîtes les Français. L'honneur de la patrie et la liberté publique ont besoin aujourd'hui de toute votre valeur. L'Europe nous regarde. " Le 10, les français capitulent face à ces corses qui se battent "cù l'anticu furore" (mot à mot "avec l'antique fureur"). 

A leur grande surprise, Paoli laisse leurs armes et bagages aux soldats français, et invite les officiers à sa table (c'est ce qu'on appelle la "guerre en dentelle", dont les Français ne firent d'ailleurs guère preuve à l'égard des Corses capturés lors des autres affrontements, antérieurs et postérieurs).               Cette bataille clôt la campagne française en Corse, pour le moment. Car si Louis XVI envisage de laisser les Corses en paix, Choiseul le convaincra de remettre le couvert dès l'année suivante.

Le général (français) Dumouriez qui participa à la campagne de 1768, dira à ce propos : " Les Corses remportèrent tout l'honneur de cette campagne qui légèrement entreprise et imprudemment conduite, fut si honteusement terminée. Tout ce que Paoli a tenté était audacieux, bien combiné et exécuté avec finesse et précision. Il a employé dans cette guerre du génie et un très grand caractère, et les Corses y ont montré un courage très estimable. "